selon Merleau-Ponty

Le primat de la perception

Dès l'époque de La structure du comportement et de la Phénoménologie de la perception (1944), Merleau-Ponty a voulu montrer que la perception n'était pas la résultante d'atomes causaux de sensations, contrairement à ce que véhiculait la tradition issue de John Locke dont la conception atomiste causale était perpétuée dans certains courants psychologiques de l'époque, dont le béhaviorisme. La perception a plutôt, selon Merleau-Ponty, une dimension active en tant qu'ouverture primordiale au monde vécu.
Cette ouverture primordiale est à la base de sa thèse du primat de la perception. Selon une formule de la phénoménologie d'Edmund Husserl, « toute conscience est conscience de quelque chose », ce qui implique une distinction entre « actes de pensée » (la noèse) et « objets intentionnels de la pensée » (le noème), faisant de la corrélation noético-noématique le premier socle de la constitution des analyses de la conscience.
Or, en étudiant les manuscrits posthumes de Husserl, qui demeure une de ses influences majeures, Merleau-Ponty remarque que dans leur évolution, ses travaux mettent eux-mêmes à jour des données qui ne sont pas assimilables à la corrélation noético-noématique. C'est notamment le cas en ce qui a trait aux données sur le corps (qui est à la fois corps-sujet et corps-objet), sur le temps subjectif (la conscience du temps n'est ni un acte de conscience ni un objet de pensée) et sur autrui (les premières considérations d'autrui chez Husserl menaient au solipsisme).
La distinction entre « actes de pensée » (noèse) et « objets intentionnels de la pensée » (noème) ne semble donc pas constituer une base irréductible, elle semble plutôt apparaître à un niveau supérieur de l'analyse. Ainsi, Merleau-Ponty ne postule pas que « toute conscience est conscience de quelque chose », ce qui suppose d'emblée un socle noético-noématique, il développe plutôt la thèse selon laquelle « toute conscience est conscience perceptive ». Ce faisant, il instaure un tournant significatif dans le développement de la phénoménologie, indiquant que les conceptualisations doivent être réexaminées à l'aune du primat de la perception, en soupesant ses conséquences philosophiques.

La corporéité
En prenant comme point de départ l'étude de la perception, Merleau-Ponty est amené à reconnaître que le corps propre n'est pas seulement une chose, un objet potentiel d'étude pour la science, mais qu'il est aussi une condition permanente de l'expérience, qu'il est constituant de l'ouverture perceptive au monde et à son investissement. Il souligne alors qu'il y a une inhérence de la conscience et du corps dont l'analyse de la perception doit tenir compte. Pour ainsi dire, le primat de la perception signifie un primat de l'expérience, dans la mesure où la perception revêt une dimension active et constitutive.
Le développement de ses travaux instaure donc une analyse marquant la reconnaissance autant d'une corporalité de la conscience que d'une intentionnalité corporelle, contrastant ainsi avec l'ontologie dualiste des catégories corps/esprit de René Descartes, un philosophe auquel Merleau-Ponty est demeuré attentif malgré les divergences importantes qui les séparent. Il amorce alors une étude de l'incarnation de l'individu dans le monde, tentant de surmonter l'alternative entre une pure liberté et un pur déterminisme, tout comme le clivage entre le corps-pour-soi et le corps-pour-autrui.
La Phénoménologie de la Perception (1944) est l'œuvre majeure du philosophe Maurice Merleau-Ponty, l'un des fondateurs de la phénoménologie. Suivant explicitement le travail d'Edmund Husserl, le projet de Merleau-Ponty est de révéler la structure phénoménologique de la perception. Il critique aussi dans cet ouvrage une conception cartésienne et mentaliste du langage, qui ferait des mots les simples représentations de concepts mentaux ou d'objets extérieurs.

Les préjugés classiques et le retour aux phénomènes
  • La « sensation » — Merleau-Ponty analyse la notion de sensation et en dégage, malgré une apparente évidence dans « l'attitude naturelle » (celle dans laquelle nous pensons pouvoir définir précisément ce que sont les mots « sentir », « voir », etc.), le caractère complexe. Il récuse la notion de « sensation pure » qui ne correspond à aucune expérience vécue (les sensations sont relatives) et s'accorde avec la Gestalttheorie (la psychologie de la forme) pour définir le phénomène perceptif comme « une figure sur un fond » : aucune donnée sensible n'est isolée, elle se donne toujours dans un champ (il n'y a pas de « pure impression »). Il réfute ensuite le « préjugé du monde objectif » : il n'y a pas de « réalité objective », la perception s'ancre dans une subjectivité qui, de fait, produit de l'indéterminé et de la confusion (lesquels ne résultent pas d'un « manque d'attention »). Merleau-Ponty en arrive à la conclusion que la psychologie n'est pas parvenue à définir la sensation ; mais la physiologie n'en a pas davantage été capable, puisque le problème du « monde objectif » se pose à nouveau et qu'il entre en contradiction avec l'expérience (exemple avec l'illusion de Müller-Lyer) : pour comprendre ce que signifie « sentir », il faut donc revenir à l'expérience interne pré-objective.
  • L' « association » et la « projection des souvenirs » — La sensation ne correspond pas à la coïncidence entre le sujet sentant et la qualité (par exemple le rouge) perçue. L'auteur met en évidence l'intentionnalité de la conscience : la conscience est conscience perceptive de. Il réfute ensuite la thèse empiriste d' « association des idées » (en vogue depuis Locke) : si cette dernière ramène l'expérience passée, il y a aporie puisque la première expérience ne comportait pas de connexion avec d'autres expériences. Au contraire, la sensation prend corps au sein d'un « horizon de sens » et c'est à partir de la signification du perçu qu'il peut y avoir des associations avec des expériences analogues (et non le contraire). Une impression ne peut pas « en réveiller d'autres » : la perception n'est pas faite de données sensibles complétées par une « projection des souvenirs » ; en effet, faire appel aux souvenirs présuppose précisément que les données sensibles se soient mises en forme et aient acquis un sens, alors que c'est ce sens que la « projection des souvenirs » était censé restituer. 


vendredi 12 octobre 2007, par Dupond Pascal


La perception désigne chez Merleau-Ponty un « contact naïf avec le monde » que la philosophie a la tâche de « réveiller », en remontant en deçà des constructions et des idéalisations de la science, en deçà même des convictions de l’attitude naturelle, afin de réactiver, de critiquer, de rectifier, de refonder les significations fondamentales qui régissent notre intelligence de l’être et même l’accès à notre propre être.
La perception est donc notre ouverture au monde, notre « insertion » dans un monde, naturel et historique, elle est pour ainsi dire notre initiation à l’être .
Mais qu’elle soit ouverture originelle au monde, initiation à l’être n’implique pas que la perception soit d’emblée transparente à elle-même ; Merleau-Ponty pense au contraire que la perception ne livre pas son essence à une saisie immédiate : « elle est ensevelie sous les sédiments des connais-sances ultérieures » et elle doit être reconquise « par un travail comparable à celui de l’archéologue ».
Ce travail, Merleau-Ponty l’accomplit à l’aide de la phénoménologie, mais aussi à la frontière de la phénoménologie.
Dans un premier moment, coïncidant avec la La structure du comportement et la Phénoménologie de la perception, le travail d’archéologie est conduit, à l’aide de la phénoménologie, sur deux fronts : contre l’idéalisme et l’intellectualisme, qui assimilent la perception à une pensée de voir et à une pure « inspection de l’esprit », contre le naturalisme ou le réalisme, qui la réduisent à un événement objectif survenant dans une nature en soi.

cf. Philopsis Notes de cours
http://www.philopsis.fr/spip.php?article110
Sa conclusion
Sous l’objet, la Phénoménologie de la perception retrouve le monde, sous le sujet, elle trouve le corps phénoménal.
La notion de corps
phénoménal vient de la structure du comportement. Dans la structure du comportement, le corps phénoménal, c’est la forme vivante en tant qu’elle est perçue, en tant qu’elle est en position d’objet ; c’est, selon la note de Phénoménologie de la perception 249 « la conscience vue de l’extérieur ».
Dans la
Phénoménologie de la perception, le point de vue s’inverse : le corps phénoménal, c’est le corps percevant, c’est le corps qui s’apparaît à lui-même en faisant apparaître le monde ; c’est donc le corps comme « puissance de ce monde » (lire Phénoménologie de la perception 402-403) et c’est le corps que le sujet percevant éprouve comme le sien (Phénoménologie de la perception 113).
Le corps
phénoménal est un creux, un pli dans l’être. Il est à la fois du côté de l’être et du côté du néant, qui sont les deux moments inséparables de l’apparaître.
La question de l’union de l’âme et du corps revient donc à penser les deux versants du corps
phénoménal : ce qui, de son apparaître, relève du néant, ce qui, de son apparaître, relève de l’être.
Merleau-Ponty cherche la réponse du côté du temps. C’est ce que montre un passage de la page 492. La solution est-elle satisfaisante ?
Si elle ne l’est pas, c’est toute l’architecture conceptuelle de la perception qui doit être repensée ; c’est ce que fera Merleau-Ponty dans les textes de la fin des années 50. 


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